La fermentation

Les aliments fermentés sont particulièrement savoureux. Songez au vin, à la bière, au -yaourth et au fromage. Mais les potentalités de la fermentation sont loin d’être épuisées. Tout au contraire, un nombre croissant de chefs redécouvrent comment la fermentation du chou, des carottes, des pommes, du poisson et de plein d’autres aliments peut être profitable. 

En Belgique, c’est Sang-Hoon Degeimbre du restaurant doublement étoilé L’Air du Temps qui s’est fait la réputation de manier l’art de la fermentation. ­Songez à ses kimchi, une préparation coréenne dont les ­ingrédients sont des légumes fermentés. Aux dires de Degeimbre, la fermentation  contribue amplement au goût et à la texture. Et en opérant de manière adéquate quant à la fermentation et la conservation, le goût s’améliore, même à long terme, comme c’est le cas avec le vin, assure-t-il. C’est tout simplement une méthode de conservation formidable du surplus de fruits et de légumes qu’il cultive dans son jardin.

L’expert en la matière au Benelux est sans doute le Néerlandais, Christian Weij. Il est l’auteur des deux manuels : ‘Verrot Lekker’ et ‘Verrot Gezond’. “La fermentation consiste à élaborer des aliments en utilisant des bactéries, des champignons et des ­evures, ”commence-t-il. “Ceux-ci transforment les substances dans les aliments en d’autres substances. Un exemple ? Le sucre qui transforme une levure en alcool. Un autre exemple: le glucide qui, dans le lait, transforme les bactéries lactiques en acide lactique, tel que nous le retrouvons dans le yaourth et le ­fromage.” 

De la sauce au poisson aux petites doses

La fermentation invite à la créativité: “Ainsi, il est possible de mettre au point de nouvelles saveurs. En préparant des pickles, l’on crée un nouveau goût, rien qu’en ajoutant des épices. La durée de la fermentation ainsi que l’intervention d’autres types de bactéries mènent à d’uniques sapidités. Un autre avantage consiste en l’opportunité de conserver des restes. Supposez qu’il vous reste une caisse de carottes dont vous ne savez que faire, on peut les préparer en pickles. De la même manière, certaines chutes qui normalement se retrouveraient aux déchets sont parfaitement ‘recyclables’. Citons les feuilles de chou-fleur. Elles peuvent se métamorphoser en de très beaux kimchi. Un autre exemple: la sauce au poisson qui nous est livrée par la cuisine asiatique: du poisson fermenté et du sel.  Dans l’Antiquité, les Romains adoraient le poisson fermenté, le garum,  des déchets de poisson et du sel.

Par conséquent, lorsqu’il me faut une grande quantité de poisson, je prie le poissonnier de me livrer également les déchets pour en faire de la sauce au poisson, six mois après, un généreux exhausteur de goût dans toutes sortes de mets, surtout les mets asiatiques.  Et en faisant du kimchi  à partir de déchets, on peut raconter à l’hôte une histoire plaisante: ‘Voici un reste d’il y a quatre semaines. Nous en avons fait un beau kimchi.‘ Il est clair que les hôtes doivent s’y familiariser mais lorsqu’on le consomme à petites doses, l’on l’apprécie,  avec le temps.

L’essence dans toute sa simplicité

L’on procède à un grand nombre de fermentations en ajoutant du sel, explique Weij : “C’est par le sel  que toutes les bactéries pathogènes dépérissent. Seules les bonnes bactéries résistent au sel et effectuent le processus de fermentation. Elles produisent de l’acide lactique dans le cas de légumes, de fromage et de produits laitiers. Dès que l’acide lactique a fait son apparition dans la masse, celle-ci est indéfiniment à l’abri des bactéries ou des moisissures nocives. Dans ce contexte, la concentration de sel est d’importance capitale: un pourcent et demi est un minimum. Si par exemple, vous combinez un kilo de carottes et un litre d’eau, ce qui fait deux kilos, il faut dissoudre au moins 30 g de sel dans l’eau. En deçà, vous courez le risque de la présence de mauvaises bactéries, ce qu’il faut éviter. En outre, il faut absolument éviter l’introduction d’oxygène au moment de la fermentation, sinon il y a risque de moisissure. La présence d’oxygène est évitable. Pour fermenter de grandes quantités, il est conseillé d’utiliser un seau de fermentation comme ceux utilisés au brassage de la bière ou à la vinification: il est muni d’une fermeture hydraulique qui empêche l’oxygène de s’introduire tout en laissant s’évaporer le CO² généré. Il en est de même lors du brassage de la bière: d’innombrables bulles apparaissent: c’est le CO² qui se forme.” 

Que peut-on fermenter? Weij: “En fait, tout. Les légumes, les fruits, les produits laitiers. La viande et le poisson aussi. Dans ce cas, il faut davantage de vigilance : en effet, les moisissures raffolent des pro­téines. Il faut donc y veiller et utiliser davantage de sel. Les haricots et les céréales sont également ‘fermentables’.” En tant que petit restaurateur, songez donc à vous mettre d’accord avec un collègue et à convenir des produits à fermenter par chacun. 

Une alimentation sûre

“Les fruits et les légumes se prêtent à la perfection à la fermentation, à condition qu’il y ait suffisamment d’acide lactique”, poursuit le Néerlandais passionné. “Le degré d’acidité se mesure au moyen d’un bon mètre de pH. Son coût est de quelques euros à peine et lorsque le pH affiche en-dessous de 4,5, l’acidité est suffisante pour garantir la sécurité.  Actuellement, je coopère avec l’université de Wageningen et un professeur en microbiologie m’a confirmé, après avoir effectué des examens qu’en-dessous d’un pH de 4,5, les bactéries présentes ne peuvent  pas développer de micro-organismes pathogènes. Il en est de même pour les produits laitiers: la présence d’acidité garantit la sécurité.  Notez que, paradoxalement, les variantes crues, telles que les légumes crus, le lait cru sont plus dangereux que les acides car ceux-là sont également peuplés de bactéries.”
Si vous décidez de fermenter de la viande ou du poisson, je conseille de faire subir aux produits un contrôle par un laboratoire, par mesure de sécurité : ce n’est pas une démarche onéreuse.” 

Les chefs qui pratiquent la fermentation

Bon nombre de chefs réputés ont d’ores et déjà adopté la fermentation. Dans ce contexte, les Pays-Bas sont un peu en avance sur la Belgique, juge Weij.  Il cite entre autres, pour les Pays-Bas, le restaurant doublement étoilé de Lindehof à  Nuenen, le restaurant deux étoiles Beluga -jusqu’à récemment à Maastricht, bientôt ailleurs, le restaurant une étoile Kalkoentje aux Pays-Bas,  Thijs van Meliefste en Zélande,…” 

Mais la Belgique, quant à elle compte également de beaux exemples : « De Superette, à Gand. Kobe Desramault est passé maître dans l’art de la fermentation. Pour ce faire, il coopère avec l’université de Leuven. Hasselt compte également un restaurant végétalien, De Levensboom. Il est frappant de constater que la plupart  se lancent d’abord dans la fermentation de légumes: c’est le plus facile et le plus sûr. Certains font leurs propres pickles, choucroûte ou kimchi, d’autres font des jus et les audacieux confectionnent des produits laitiers, comme la crème fraîche à base de crème sure ou des fromages à la crème, ce genre de produits; un quidam se risquera au miso, à des sauces au soja et à des versions basées sur des légumineuses européennes. En partenariat avec Echoput, le meilleur restaurant de gibier des Pays-Bas, nous cuisinons des sauces au poisson, à base de viande de porc, de cerf et de chevreuil: ce sont là de beaux exhausteurs de goût.”

Un nouvel avenir est assuré à la fermentation, déclare Weij. Et les restaurants gastronomiques ne sont pas en reste.

auteur: Koen Vandepopuliere – Photos Maarten Weij

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